mardi 21 septembre 2010

Analyse : Alhassane Keita a-t-il oublié le message de Kampala ?


Il fait beau temps sur la pelouse du Stade Nakivubo de Kampala ce 8 avril 2000. L’Ouganda reçoit la Guinée lors des Eliminatoires Mondial Japon/Corée. La rencontre, amplement disputée, tire vers sa fin. Youla vient d’égaliser, à la 83’. C’est son 2e but de la soirée et le 3e du Syli National. Pablo Thiam de Bayern Munich a ouvert la marque en surprenant les hôtes.


C’est en ce moment de joie que le jeune Alhassane Keita ‘Otchico’ fait sa première apparition au sein de notre onze national senior. Il rentre sur la pelouse en lieu et place d’Ousmane Soumah sous le sourire encourageant du coach Abdoulaye Keita Banks.


Les Guinéens ont modifié leur schéma tactique. Pascal Feindouno semble s'être recentré avec la rentrée de Keita qui, conscient du poids de la tâche, tente de réussir cette première. Ses accélérations, ses touches de balle impressionnent le staff technique. Le temps file. On est presque aux arrêts de jeu, le moment choisi, souvent, par la scoumoune pour s’abattre sur le Syli National.


Mais la beauté du football c’est aussi sa glorieuse incertitude. C’est ainsi que, Feindouno, l’enfant de Kissidougou, en véritable sauveur, place le 4e but guinéen, comme pour dire au portier Ougandais Kawalya qu’il venait d’une ville dont le nom signifie : « terre de sauveur ».


Kissidougou, nom composé de Kissi (être sauveur) et dougou (terre), signifie littéralement en malinké (terre de paix). Les malinkés y ont trouvé refuge sur la route de l’exil. Elle fut créée par Dankaran Touma Keita, le frère de Sundiata Keita, fondateur de l’empire du Mali. Leur dernier chef, Kissi Kaba Keita, livra une bataille sans merci aux colons avant sa mort en 1898. Sa terre est fertile et les denrées agricoles y sont abondantes à des prix imbattables.


Un peu loin de Kissidougou, à 82 km, se trouve la ville de Gueckedou dont le pont métallique jaune sur le fleuve Makona jouxte le Stade de « Makona FC », le club local où Alhassane Keita a continué sa progression après ses débuts dans Diani FC de Nzérékoré.


Plus tard, il quittera le Makona FC et son talent aidant, parvient à s’imposer au Horoya AC (Conakry) où évolue son frère jumeau Alseny.


C’est à Monrovia (Liberia) où travaillait leur père que les frères jumeaux, natifs de Macenta, ont débuté à jouer au ballon. Après de nombreux va et vient, le déclenchement de la guerre civile au Liberia oblige le papa et sa famille à rejoindre définitivement la Guinée, en 1990.


Au pays, Alhassane apprécie et découvre l’importance des relations humaines en tentant d’oublier la pauvreté. Faute de moyens financiers, il arrête l’école à l’âge de dix ans. Dès lors, fort de son talent et d’une volonté à toute épreuve, il se lance un défi : réussir dans le football.


Au Horoya (Conakry), les frères jumeaux forment un duo formidable. Alhassane (attaquant), aime offrir des ballons de but à son frère Alseny (milieu offensif) qui en fait autant. L’entente est exemplaire.


Ils passeront par le championnat marocain avant de rebondir, plus tard, dans l’Axpo Super League Suisse. Et puis arrive ce jour lors de la finale de la Coupe de Suisse (2004/05) : Alhassane, attaquant vedette de FC Zurich affronte Alseny, milieu offensif de FC Lucerne. FC Zurich vaincra par 3-1 dont un but d’Alhassane.


En juin 2008, Alhassane survole la péninsule arabique pour atterrir sur la plus grande des îles Baléares espagnoles, Majorque et dépose sa valise chez Real Majorque en signant cinq ans. Il venait d’Al-Ittihad Djeddah (Arabie Saoudite) où il a passé deux brillantes saisons.


En Primera División, il continue sa bonne ascension, repérant de l'espace et marquant des buts là où les autres loupent. Il l'a fait contre les Barcelone, Real Madrid, Almeria, Zaragoza, Bétis…etc. Mais ici, l’enfant de Macenta doit œuvrer sous une nouvelle contrainte, première de sa carrière : alterner le banc et les titularisations pendant deux saisons.


Le 11 Aout dernier, à Marignane (France), Alhassane Keita a refusé de jouer le match amical Guinée-Mali. Raison ? Il n’était pas titularisé d’entrée. Le coach, c’est le revenant Michel Dussuyer. L’homme qui, en 2004, avait amené Keita à son unique Coupe d’Afrique des Nations (CAN), en Tunisie.


Par le passé, il n’était pas régulièrement appelé en équipe nationale à cause notamment du désamour fortuit entre lui et certains coachs du Syli National. Curieusement, plus il brillait dans son club, plus les coachs du Syli l’ignoraient. Il est souvent sélectionné pendant les éliminatoires mais, oublié lors des phases finales du tournoi continental.


En 2005, Keita entame bien la saison de la Super League Suisse avec le FC Zurich dont il finira meilleur buteur. Mais Patrice Neveu, qui venait de remporter la Coupe Amilcar Cabral, l’a écarté pour la CAN 2006, en Egypte. Et comme si l’habitude était forcément une seconde nature, Robert Nouzaret ne le retiendra pas, aussi, pour la CAN 2008, au Ghana.


En effet, malgré l’indéniable talent qu’il possède, son sens de l’humour, sa gentillesse et surtout son franc-parler, ceux qui l’ont côtoyé ne cachent pas le défaut principal de Keita : la colère subite et imprévisible qui coure dans ses veines demeure réelle.


Keita avait la possibilité de jouer pour le Liberia de George Weah. Il a préféré la Guinée, terre de ses parents. Mais il n'est pas le premier joueur qui a été obligé de choisir entre deux pays. L’attaquant des Lions du Sénégal, Henri Camara, est originaire du village de Manfédou, à Kissidougou, fils de feu Prosper Camara et neveu du légendaire Maxime Camara du Hafia Football Club. Saliou Diallo, longtemps dernier rempart du Syli et Ibrahima Soreya Camara, actuel défenseur de KAS Eupen (D1 Belge) et latéral du Syli, auraient plutôt joué pour la Sierra Leone. L’Afrique n’est-elle pas une famille ? Plusieurs footballeurs africains sont partagés entre l’amour de leur pays d’origine et l’honneur de leur pays d’adoption.


Et la fin du match à Kampala ? Oui. La scoumoune y était bel et bien présente. Car malgré l’effort des Guinéens, les Ougandais remettront les pendules à l’heure dans le temps additionnel. Score final : 4 buts partout.


En arrachant ce match nul difficile, Pablo Thiam, Morlaye Soumah, Sekou Drame, Mamadi Kaba et les autres pachydermes de ce soir, venaient d’illustrer devant le jeune débutant Keita ce que chaque footballeur, professionnel ou amateur, doit faire, à tout moment, pour honorer sa patrie. Un message que Keita avait poliment reçu, compris et respecté. Pendant dix ans, il a honoré le drapeau national.


Mais hélas, le temps change. Et l’homme, s’il n’est pas caméléon, il change et de peau et de conduite. Ce refus de Keita d’être remplaçant en équipe nationale, en match amical, alors qu’il était presque abonné au banc durant toute la saison à Real Majorque, suscite de nombreuses interrogations.


Il est primordial que les footballeurs africains comprennent que leur bonne prestation en équipe nationale est une fierté inestimable qui sème le sourire sur les lèvres de leurs compatriotes. Et ce sourire, les Guinéens en ont réellement besoin, eux dont le sous-sol est gorgé de richesses naturelles, avec une terre fertile et naturellement arrosée mais, paradoxe révoltant, qui croupissent dans la pauvreté !


La vie n’est qu’une succession perpétuelle des faits par des voies dont seul l’Omniscient Allah détient les contours. Succession ? Oui. Ce match amical contre le Mali aura permis à un autre jeune débutant de bien fêter son baptême de feu au sein du Syli National. Auteur du premier but, toujours souriant, il s’appelle Ibrahima Traoré, 22 ans, attaquant du FC Augsbourg (D2, Allemande). Keita devrait jouer cette rencontre et, par la plus belle manière, lui transmettre le même message qu’il avait reçu, un jour, à Kampala. Il ne l’a pas fait. A sa place, le capitaine Kamil Zayatte, auteur du 2e but et les autres, l’ont fait, brillamment. Car dans ce match, le Mali d’Alain Giresse ne tremblera pas les filets guinéens.


Le foot guinéen, pour retrouver son lustre d’antan sur le continent, a besoin des dirigeants et des joueurs qui veulent « vraiment » servir la Nation. Selon Charles de Gaulle : «On ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l’avoir voulu.»


/__ Moysekou (Kuwait City)

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